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Les portails d'achats solidaires

Les associations à forte notoriété disposent d'un moyen très simple pour financer leurs projets : les produits partage. Pour chaque achat effectué, le fabricant du produit reverse une commission à l'association partenaire de l'opération. Une variante de ce dispositif existe sur Internet : les portails d'achats solidaires. Ces derniers pourraient convenir à des associations à la notoriété moins établie.

Le principe est simple : des portails proposent aux internautes d'acheter en ligne un certain nombre de produits pour lesquels une partie du prix est reversée à des associations affiliées. En général, l'internaute peut choisir au sein d'une liste l'association qui recevra la commission. Les fonds collectés peuvent également alimenter des projets en prise directe avec l'actualité (lutte contre la famine en Afrique Australe, contre la déforestation en Amazonie…).
Bien entendu, les associations présentes sur le portail sont invitées à faire figurer sur la home page de leur propre site le lien conduisant vers la galerie commerciale en question. Quelle qu'en soit la forme, ce type de site n'est pas encore très répandu en France. Il est beaucoup plus développé outre-atlantique.

Made in the USA

Les galeries commerciales "charitables" en ligne sont très répandues aux Etats-Unis, où le commerce électronique est plus développé qu'en Europe. Une croissance favorisée à la fois par la dynamique de la vente en ligne et le financement des budgets sociaux par des fonds privés.
Sur le plan individuel, la démarche tient de la bonne action : l'internaute achète un produit sans surcoût et réalise sa B.A. en finançant en même temps les œuvres de son choix.

Ces grosses machines américaines ont pour nom GreaterGood et Igive. D'après ses dires, GreaterGood aurait récolté en 2002 près de 5 millions de dollars au profit de diverses associations. Ceci dit, le soufflé de ces start-ups de la charité est un peu retombé et de nombreux regroupements de ces sociétés ont eu lieu dernièrement. Un signe de maturité ?

Un système où tout le monde gagne

Le système bénéficie à l'ensemble des acteurs : le client procède à ses achats tout en accomplissant une bonne action, l'entreprise se donne une image citoyenne et augmente son capital de sympathie et les associations renforcent leur notoriété. Pour ces dernières, tout le dispositif étant externalisé, il n'induit aucun coût. Toute la promotion et la logistique sont à la charge du portail.

Même si les revenus sont, pour l'instant, loin d'être pharamineux, il suffit, comme certains le disent, de voir venir et d'encaisser les dividendes. Ceux-ci peuvent se présenter avec quelques retards cependant. Souvent, en effet, pour des raisons de frais de gestion ou de placement de trésorerie (!), le collecteur doit attendre qu'un montant minimum soit atteint pour déclencher le versement.

Comme pour les dons en ligne, les associations peuvent, grâce à ce dispositif, attirer un public plus jeune. Selon le huitième baromètre de la solidarité du Comité Catholique contre la Faim dans le Monde, plus de 75% des 18-24 ans sont favorables aux produits partage. Une tranche d'âge qui représente les consommateurs de demain et qui est très branchée sur Internet.

Quelques inconvénients malgré tout

Tout d'abord, et contrairement aux dons manuels, il n'existe pas de déductions fiscales applicables aux achats en ligne. De plus, le volume des affaires traitées étant directement lié aux flux de visites, il est tentant pour ces portails de ne choisir que des associations à la notoriété bien installée. Les petites associations ont donc plus de mal à se faire une place au e-soleil. Enfin et surtout, les associations doivent se méfier de ne pas perdre leur âme dans l'affaire : leurs adhérents le leur reprocheraient très vivement.
Quant au marchand, il lui faut impérativement s'assurer de la qualité de ses partenaires et filtrer les associations candidates de caractère douteux (sectes, mouvements racistes…).

4uman, trop tôt disparu

Le pionnier de ce type d'activité en France est sans contexte 4uman (for human en français !). Une expérience qui a tourné court : créée en mai 2000, cette entreprise de commerce citoyen a fermé son portail en juin 2002. La philosophie des fondateurs, Raphaël Butruille et Patrice Zana, était de donner un sens à l'acte d'achat. Une vingtaine de commerçants en ligne et près de 300 associations (de grosses ONG aussi bien que des associations plus confidentielles) étaient sur la place, sans toutefois pouvoir en retirer des subsides suffisants.
Solidarité et rentabilité n'iraient-elles donc pas de pair ?
Selon Raphaël Butruille, ce demi-échec serait lié à la fois à un marché en ligne encore embryonnaire, à un concept d'achat solidaire peu répandu à l'époque et au statut d'entreprise de 4uman. "Si nous avions été une association , nous aurions pu tenir encore quelques temps. Mais les contraintes d'une société imposent d'avoir les reins solides et d'obtenir des résultats rapidement. Avec le recul, nous pensons que nous étions simplement trop en avance. Il existe sûrement un marché mais il ne devrait émerger que dans quelques années, quand Internet se sera bien déployé et que les comportements d'achat se seront "numérisés".

Certaines associations, d'origine anglo-saxonne comme Care France ou WWF, mais aussi Action contre la Faim, Sidaction ou le Secours Populaire, ont joué le jeu. D'autres devraient suivre".

Bootiketik, le portail de l'achat généreux

Si 4Uman a jeté l'éponge, ce n'est pas le cas d'une autre entreprise, Bootiketik, qui développe le même concept en s'appuyant sur le métier initial des Editions Ivoire - l'imprimerie - et sur sa maîtrise de la vente à distance.
L'entreprise annonce 40 000 visiteurs uniques par mois, avec un taux d'achat d'environ 1%. Parmi les 400 produits présentés, on trouve principalement des cartes de vœux, des calendriers, des articles de papeterie, des livres, des CD…

Outre le fonds propre de l'éditeur, le catalogue de Handicap International, partenaire de Bootiketik, est également présent sur le site. Bootiketik stipule qu'une grande partie des articles respectent les valeurs du monde associatif (défense de l'environnement, commerce équitable, produits de centres d'aide par le travail…). En fait, selon les propos de l'éditeur lui-même, seul 20% du catalogue est constitué d'articles écologiques, provenant du commerce équitable ou fabriqués par des Centres d'aide par le travail (CAT).

Motivations et bénéfices divers

Si l'internaute arrivant sur Bootiketik s'est connecté depuis le site de l'association partenaire (via le lien inséré sur la home page), celle-ci percevra 20% des ventes réalisées à son nom sur la boutique en ligne ; sinon, elle ne touchera que 10%.
Il est donc dans l'intérêt de l'association de générer un maximum de flux depuis son site vers la galerie.
Par ailleurs, sur les 200 associations affiliées, seules une quarantaine (de notoriété nationale) sont référencées sur le site. Il faut donc doublement se battre pour espérer en retirer quelques subsides. En fait, peu d'associations en attendent des revenus conséquents.
Comme le précisent les associations Rêves et Frères des Hommes, elles attendent surtout de ce dispositif un accroissement de leur notoriété et une interactivité plus forte avec les adhérents ou donateurs potentiels. Ce qu'elles constatent de fait, au vu du nombre d'e-mails qu'elles reçoivent quotidiennement.

Handicap International s'est rapprochée de Bootiketik en septembre 2002. Cette ONG a déjà une bonne pratique des produits partage par le biais des ventes qu'elle réalise lors des fêtes de Noël (sacs à sapins, col'rett, etc.). "Nous préférions faire appel à un spécialiste de la vente à distance et en ligne plutôt que de monter un dispositif sur notre site. Chacun son métier !" explique Nathalie Archias, responsable du département "achats solidaires". En trois mois, quelques 300 commandes ont déjà été enregistrées via Bootiketik pour un achat moyen de 62 €. Mais il est bien entendu trop tôt pour en tirer des enseignements significatifs.

Les portails associatifs aussi

Créée en décembre 2000, Labonneaction.com se distingue des deux précédentes initiatives en ce sens qu'elle est gérée par une association. Là, le panel de bénéficiaires est beaucoup plus restreint. Seules sont concernées les associations qui œuvrent au profit de l'enfance défavorisée. Selon Emmanuelle Lancu de Labonneaction.com, entre le 1er avril 2001 et le 20 juin 2002, près de 12 000 euros ont ainsi été distribués de manière égale entre les trois associations partenaires. Et près de 3500 enfants en ont déjà bénéficié au travers de trois programmes touchant à la santé et à l'animation à l'hôpital. Les emplettes solidaires sur Internet sont encore balbutiantes mais elles devraient évoluer rapidement dans les toutes prochaines années. Et les associations les plus dynamiques devraient alors tirer leur e-pingle du jeu…

Philippe Villette

Adresses :
www.labonneaction.com

www.bootiketik.com
www.greatergood.com

www.igive.com

Journal des Associations - n°38 - février 2003

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